Un Avion britanique abattu à Maubray en mai 1940

Auteur : Omer HELLIN


Rescapé du crash de son avion, le sergent WILLIAM (dit « BILL) MURDOCH servait dans la Royal Air Force (RAF) en tant que radio-mitrailleur au sein de l’escadron 59, stationné à Andover (Angleterre).

En septembre 1939, l’escadron s’embarqua pour la France, à destination de Poix-de-Picardie, près d’Amiens.

Le 18 mai 1940 (soit 8 jours après la déclaration de guerre), très tôt le matin, William MURDOCH - il avait 20 ans – accompagné d’un pilote et d’un navigateur décollèrent de Poix pour atterrir sur la base aérienne avancée de Vitry-en-Artois, où lors d’un briefing on leur assigna la mission de partir en reconnaissance survoler l’Est de la Belgique ainsi que l’Allemagne de l’Ouest. Il faut savoir que depuis le 10 mai, les Allemands déferlaient sur notre pays.
Après une heure de vol, l’équipage aperçut une colonne de tanks et véhicules allemands. L’avion – un Blenheim MK IV – se rapprocha pour mieux l’observer et c’est alors qu’il fut touché par un feu nourri de mitrailleuses. Quinze à vingt minutes plus tard, la marche de l’appareil devint irrégulière; il perdit de l’altitude et finit par s’écraser; le pilote et le navigateur furent tués.

William MURDOCH, seul rescapé, raconta son odyssée dans l’ouvrage « DUNKIRK – OLD MEN REMEMBER » (Dunkerque – Les anciens se souviennent -1988). Le passage relatif à ce crash fut traduit en français par Jacques NACHEZ, de Péruwelz :

« Rassemblant mes esprits, après la chute, je réalisais que je me trouvais sur un grand champ labouré et que, par chance, l’appareil n’avait pas continué plusieurs dizaines de mètres plus loin, où se trouvait une étendue d’arbres. Je remarquais un moulin à vent (N.B. : Le moulin du Maugré) et me demandais si je ne me trouvais pas en Hollande. Je me décidais à explorer des bâtiments tout juste visibles au travers des arbres et comme je craignais d’être en territoire déjà occupé par l’ennemi, je sortis le révolver que j’avais prélevé sur le corps du navigateur alors que j’approchais des bâtiments d’une ferme (NB.- La ferme RIBAUCOURT, à la Rue du Haut Bout). J’avançai lentement avec précaution le long du mur d’enceinte, au travers de l’arche d’entrée. Je jetai un coup d’œil dans la cour de la ferme et aperçus un homme avec un petit garçon assis sur un muret en face de la maison, profitant du soleil de midi. J’appris par la suite que la vue de cet individu en tenue de vol ensanglantée sidéra le fermier, mais il ne pouvait vraisemblablement pas avoir été aussi effrayé que moi-même.

Avec l’aide du fermier et de quelques voisins, les corps du pilote (l’officier R.A. DURIE) et du navigateur (le sergent R. BURNS) furent transportés vers un petit couvent où je les ai laissés aux soins des religieuses compréhensives et apparemment très calmes. Je parvins à décider le propriétaire d’un taxi local à me conduire auprès des forces britanniques, mais il refusa d’aller au-delà de l’entrée du village (il s’agissait de Bruyelle). J’ai continué à pied dans la direction qu’il m’avait indiquée; de l’autre côté du pont enjambant le fleuve, je retrouvais l’armée britannique. J’étais heureux que des militaires acceptèrent de retourner avec moi là où l’avion s’était écrasé afin de m’aider à le détruire. A notre retour près de l’épave du Blenheim, il y avait plusieurs personnes qui cherchaient des souvenirs; après les avoir fait partir, nous lui mirent le feu.
Mon père avait été avisé par télégramme que j’étais manquant et il lui fut confirmé quelques jours plus tard que je n’étais pas rentré de l’opération du 18 mai. J’ai finalement rejoint mon escadrille à Eastchurch à la grande surprise de mes collègues survivants qui m’avaient crû disparu.

La suite de mon histoire commence en mai 1960 lorsque mon épouse, mes trois fils et moi-même sommes partis pour la Belgique pour essayer de retrouver la ferme où avait débuté mon « aventure ». Je pouvais me souvenir du village de Bruyelle, où j’avais pris contact avec les troupes britanniques; ce n’était pas loin de Tournai mais il m’était impossible de me rappeler le nom de l’endroit où mon Blenheim s’était écrasé. Dans l’après-midi du vendredi précédant la Pentecôte, nous avons donc logé à l’hôtel Cathédrale, à Tournai. Le samedi, nous sommes partis en voiture jusqu’à Bruyelle où les personnes de la localité, malgré leur gentillesse, ne purent m’aider à propos des événements de mai 1940, même pas du moulin ni du couvent. Le dimanche fut aussi infructueux que la veille et c’est avec un cœur lourd que nous sommes rentrés à Tournai ce soir-là, malgré notre intention de passer les quelques jours suivants à Paris.
Le lendemain matin au petit déjeuner, on m’appela au téléphone pour parler à un des habitants de Bruyelle que nous avions rencontré la veille. On me dit alors qu’un habitant du village, qui était absent le week-end mais à qui on raconta à son retour que quelqu’un de la RAF était venu pour essayer de retrouver l’endroit où son avion s’était écrasé en 1940, avait déclaré que si quelqu’un savait quelque chose, c’était un certain homme d’âge qui avait été garde champêtre (N.B.- Il s’agissait d’Henri VIVIER, garde champêtre à Maubray pendant la guerre), maintenant retraité et habitant à quelques km de là.
Quand on me demanda si je voulais bien retourner à Bruyelle afin de rencontrer cet homme qui pourrait par bonheur m’aider dans mes recherches, tout de suite j’acceptais. Dès l’arrivée à la porte du vieil homme, celui-ci affirma qu’il se souvenait de moi et conduisit immédiatement la petite escorte à l’endroit même où l’avion s’était écrasé. Le village s’appelait Maubray et le fermier était ravi de me voir. Il avait conservé deux pièces de l’épave car il était certain que j’allais revenir un jour. Il s’appelle Charles RIBAUCOURT, son épouse Jeanne, et son fils – un homme maintenant – se prénomme Jean-Marie, marié à Denise et qui ont un fils Patrick.

Sur la photo, prise sur le lieu où se trouvait l’épave, on trouve (de gauche à droite) le sergent MURDOCH, Charles RIBAUCOURT et Henri VIVIER (le garde champêtre, bien connu des Maubraisiens de souche) :

Depuis lors, j’ai rendu visite plusieurs fois à cette famille et chaque fois, inlassablement, nous nous remémorions les événements du 18 mai 1940. Eux aussi ont une histoire intéressante à raconter : ils ont, ainsi que les habitants tout proches, été soumis à l’époque à un interrogatoire sévère de la part des Allemands, ceux-ci sachant très bien que l’équipage du Blenheim se composait de trois membres et comme il n’y avait que deux corps retrouvés, ils furent suspectés d’avoir caché le troisième aviateur quelque part dans les environs. Mes deux camarades sont enterrés au cimetière du Sud à Tournai; ils reposent parmi les tombes britanniques. »


1) Effectivement, le sergent MURDOCH est revenu plusieurs fois dans la région. Lors d’une de ses premières visites, sinon la première, il fut très heureux de recevoir en cadeau un vestige récupéré de son avion par Charles RIBAUCOURT, qui l’avait gardé précieusement :

2) Le 2 septembre 1994, à l’occasion du 50e anniversaire de l’entrée des troupes alliées dans l’entité, une réception fut organisée à l’hôtel de ville d’Antoing en son honneur. Après les discours de circonstance, l’intéressé signa le livre d’or de la ville :

3) A chacune de ses visites, il allait se recueillir au cimetière du Sud sur les tombes de ses deux compagnons de vol (ici, en 1994) :

4) C’est à la ferme RIBAUCOURT qu’avaient toujours lieu les retrouvailles; venaient s’y ajouter régulièrement un couple ami, de Péruwelz (Jacques NACHEZ et Lydie CARTON; Jacques faisait office de traducteur). Les deux photos suivantes ont été prises le 05/09/1994.

Photo 1 : A l’avant-plan : William MURDOCH. De gauche à droite : Lydie CARTON, Denise FEYS (épouse de J-M RIBAUCOURT), Charles RIBAUCOURT, Madame MURDOCH, un fils MURDOCH, Jean-Marie RIBAUCOURT :

Photo 2 : Madame MURDOCH, William MURDOCH, un fils MURDOCH, Denise et Jean-Marie RIBAUCOURT, Lydie CARTON :

5) A titre de réciprocité, les deux familles belges furent reçues une fois en Grande-Bretagne; ce fut en juin 1998 :

De gauche à droite : Jean-Marie RIBAUCOURT, William MURDOCH, Denise FEYS, Lydie CARTON, la belle-fille et le fils MURDOCH, Jacques NACHEZ :

6) A noter que la chaîne de radio-TV britannique (la BBC) s’est, en son temps, déplacée à Maubray pour effectuer un reportage sur le sujet.
 
7) Le 2 septembre 1995, l’ancien bourgmestre de Maubray, Maurice BRABANT, eut le plaisir de « piloter » la famille MURDOCH sur le chemin parcouru par le sergent depuis le moulin du Maugré jusqu’aux rives de l’Escaut.
 
8) William MURDOCH mourut en 2011.